La forge

"Autrefois, la forge était le lieu de rendez-vous des hommes et des enfants du village. Elle hypnotisait les regards concentrés sur le foyer (a furnace) d'où se dégageait une sorte de magie. La masse incandescente  (a rusgia) formée de la braise du charbon de bois et des résidus de fer, était sans cesse attisée (accatizata) par l'énorme soufflet de forge manoeuvré par une longue barre de bois (a stanga), elle-même actionnée par une chaîne.

Ceint de son tablier de cuir (u scurzu di sula), le forgeron d'un geste précis et ferme, saisit la pièce rougeoyante avec des tenailles dont la forme des mâchoires correspond aux différents types de fers : plats, ronds, socs ou ferrage des animaux. De même pour les marteaux d'enclume (martellu d'incudine) : grande e mezzanu, mazza, farraghjolu (pour ferrer), stampaghjolu (pour pratiquer les trous).

Le fer est mis à chauffer (Hè caldu u farru, quasi bolle. cusi u farru hè piu incurdatu), il est alors battu martelé (batte, martillà è ribatte u farru)..."

In Corsica tandu - Pasquale Marchetti & Rigolu Grimaldi

Voici un exemple de forge d'une lame de couteau...

Le morceau d'acier chauffé au rouge vif est porté sur l'enclume. . Dans un premier temps il faut former la pointe de la lame.

Contrairement au sculpteur, le forgeron n'enlève pas de Matière, il se contente de la déplacer. Il faut donc sans cesse anticiper la déformation de l'acier, c'est ce qu'on appelle Conduire...

La lame est courbée sur la bigorne. Ensuite elle est martelée régulièrement. L'affinage du tranchant entraînera son relèvement , jusqu'à ce qu'elle retrouve sa forme de départ. 

En fin de travail de forge, une chasse à parer remplace le marteau pour régulariser la surface de chacune des faces. Après une dernière chaude, au rouge sombre, la lame est mise au repos dans un seau de sable, jusqu'à son refroidissement complet.

Avant la généralisation de l'usage du Borax, c'est dans ce sable que le forgeron enfouissait le métal qu'il devait souder. La silice en fusion forme en effet une gangue empêchant l'oxydation du métal et favorise la soudure.

Une fois la lame dégrossie à la meule ou à la lime, il est nécessaire de procéder à sa trempe.  On la la plonge dans a pila.

Bien entendu, on trempera différemment un burin, un fer de pioche ou une lame de couteau : la trempe est adaptée à la fonction de chaque outil. On parle de trempe "dure" ou de trempe "douce" selon la température de chauffe du métal.

Pour les bains de trempe, voici quelques vieilles recettes. Chacune est adaptée à la qualité de l'acier et à sa teneur en carbone (ainsi pour un acier faiblement carburé, il s'agira plus d'une cémentation de surface).

"Pour le fer et les aciers mariés : sel de cuisine, limon de rivière, suie de cheminée et eau. Remuer énergiquement le mélange pendant une vingtaine de jours. Remuer avant chaque usage".

"Poudre de charbon, charbon de bois pulvérisé et tamisé, vieux morceaux de cuir, sel de cuisine, urine, eau. Laisser séjourner trois mois. Remuer chaque jour".

"Suie de cheminée, crottin de cheval ou d'âne, râpures d'os, sel de cuisine, râpures de cornes, eau. Laisser trois ou quatre mois, mélanger de temps à autres."

On peut estimer d'un simple coup d'oeil  la qualité d'une trempe : la ligne bleue foncée qui se forme quelques millimètres au dessus de la ligne de trempe permet d'estimer à quelle température s'est trouvé le métal à cet instant précis...

Mais il est parfois préférable de procéder à un revenu de détente (notamment sur les lames de couteau), afin de redonner au métal une certaine souplesse.

"Pour cela, chauffer un brique dans le foyer et y déposer le dos de lame. Lorsque le tranchant a pris une couleur brun jaune, retirer la lame et la laisser refroidir".