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Le forgeron

Personnage incontournable de l'ancienne société Corse, le forgeron a laissé une trace indélébile dans la mémoire collective. Au sein de la communauté villageoise de naguère, u stazzuneru occupait une place déterminante.

Possédant des connaissances énigmatiques, parfois jugées  mystérieuses, il est l'héritier d'une longue tradition de Maîtres du Feu...  

Dentiste, il utilise ses pinces pour arracher les dents gâtées, et parfois médecin, il pratique des pointes de feu pour soulager les sciatiques (taglià a sciatica) et les névralgies. L'eau dans laquelle il trempe le fer est utilisée pour soigner les inflammations des yeux... Et parce qu'il connaît bien les bêtes, on fait souvent appel à lui comme vétérinaire.

Il est maréchal-ferrant (farale), bien sûr. Il forge des fers à sept trous pour les chevaux (farru cavallinu), à six trous pour les mulets (farru mulignu) et à cinq pour les ânes (farru sumerinu). De même, il forge les clous : d'abord il étirait le fer (à a prima calda s'allonga u farru), ensuite il forgeait la tête (à a siconda calda si face a chjocca).

Il est aussi charron : il procède au cerclage des roues de charrette (chjerchjatura). Il forge évidemment tous les outils nécessaires aux travaux des champs jusqu'aux socs de charrue (vùmera, vumeràle), de même que tous les ustensiles en métal destinés à la cuisine sortent de son atelier. Il est encore serrurier : c'est lui qui fabrique tous les systèmes de blocage des portes (u farru mortu):  verrou coulissant (marchjone), loquet (cricca), serrure (sarrenda), heurtoir (pichju ou pichjatoghju). Il est parfois même armurier (armaru). Quelque peu mécanicien, c'est lui qui entretient les mécanismes des moulins et, plus tard, s'occupera parfois des premières voitures automobiles.

Dans le système économique d'alors, le forgeron n'est pas un simple artisan : il est bien souvent le salarié de la communauté villageoise. C'est  du moins le cas dans le  Cismonte (la Corse de l'en Deça des Monts - l'actuelle Haute-Corse -, par opposition à la Corse de l'Au delà des Monts, u Pumonte), dans ces Pieve di a popula e commune (La Terre de La Commune, système d'administration institué par la Commune de Gênes pour gouverner ses territoires, par opposition au système féodal du sud de l'île).

 Le forgeron est engagé à l'année et en échange de son travail, il reçoit  un paiement en nature (en grains, en légumes, en bois, en viande...). D'après un acte notarié passé en 1588, la commune de Belgodère, après avoir construit una Stazzona Cumuna (une forge communale), engage un stazzuneru, dénommé Antonpetru...  Choisi par les villageois, ce dernier s'engage à forger et à entretenir le soc des araires, les haches (piole), les pioches (zappe), les pelles (vange) et autres instruments agricoles. Il doit ferrer les chevaux et réparer les éléments mécaniques des moulins. Il est stipulé qu'il ne doit pas quitter ses fonctions sans se faire remplacer par son frère, également du métier. En échange, chaque famille de la communauté villageoise s'engage à lui verser annuellement, et en fonction de ce qu'elle possède : quatre bacini (décalitres) de blé par paire de boeufs, un bacinu par cheval, deux bacini par moulin, une zucca (environ douze litres) de moût de raisin par pioche...

L'activité du forgeron est associée à celle d'autres petits métiers : bûcherons, récoltants de bois gras (a dedda),  charbonniers, muletiers... Certaines de ces activités perdureront  bien après la guerre de 1914.
 
I Mulateri et i Tragulini (les colporteurs) amènent régulièrement dans les villages les produits de l'extérieur. En échange, ils rapportent à la ville de la farine, des fromages, du miel, des tissus de lin, de chanvre, de poils de chèvres (servant à fabriquer u pilone,
le manteau des bergers), du bois gras, de la poix, du charbon de bois, etc...

 

A si fiscava drittu è fieru

Cun cinta rossa è cappellone

U nostru anticu mulateru

Cjudendu staffile è canzone...

                                                         (Eugène Anarella -  Amicu Mulateru)

Peu à peu, des lieux d'échanges s'instaurent dans les villages ou dans des passages obligés (cols ou débouchés de vallée), et à des dates précises (comme les foires de Francardu et de Niolu qui marquent le départ et le retour de la transhumance en montagne). Déjà s'esquissent un réseau de foires, qui ne sera officialisé que bien plus tard. L'argent est rare, la pratique du barattu (troc) est habituelle. Malgré la précarité des chemins et l'insécurité due au brigandage, les sentiers sont fréquentés (Les éleveurs de cochons parcourent par exemple le Cismonte et vendent leur production "sur pied" au gré des haltes).

Dés le début de l'occupation génoise, au milieu du 16ème siècle, le minerai de fer est importé de l'île d'Elbe. Au port di a Bastia, i mulateri  Orezzinchi chargent leurs bêtes et cheminent jusque dans les villages les plus reculés . Là, le minerai est transformé dans des fours (ferriere) alimentés selon les régions avec du charbon de bois de chêne (a leccia), de racines de bruyère (scopa) ou d'arbousier (albitru). Le processus de réduction de l'acier est un travail long et délicat. C'est pourquoi le forgeron met de côté tous les morceaux de métal usagé, afin de pouvoir les réutiliser...

Quelques siècles plus tard, le minerai de fer est transformé en lingots dans les hauts fourneaux de Toga, au nord di a Bastia. Cette usine fonctionne durant toute la deuxième moitié du XIXème siècle. C'est à partir de cette matière première transformée mais devenue plus chère, que le forgeron devra fabriquer ses objets. Concurrencé par les produits manufacturés (clous, outils et ustensiles divers) vendus à plus bas prix par i tragulini, le forgeron doit s'adapter. Comme par le passé, il recycle pour diminuer ses coûts et économise chaque morceau de "ferraille" dont il se servira pour  fabriquer tout ce dont les villageois ont encore besoin.
 


Le point de déséquilibre sera atteint le jour où les produits manufacturés acheminés depuis la Terre Ferme
, devenus plus nombreux, plus accessibles et moins chers rendront inutiles et dérisoires les productions villageoises.

Inutiles et dérisoires en termes de capacité de production, parce que les gains générés par le travail ne permettront plus de nourrir décemment une famille. Les "petits métiers" disparaîtront peu à peu, marquant le début de l'exode rural.

Sortie d'une économie de subsistance, l'île s'enfonce à la fin du 19ème siècle dans une grave crise économique en raison de la forte poussée démographique. La Corse entame alors une lente mutation sociale qui aboutira à une forte émigration vers le Continent et vers les Colonies françaises.

La société Corse est dramatiquement bouleversée par la Guerre de 1914/18.

11 000 noms gravés sur les Monuments aux Morts témoignent du sacrifice de ses fils.

Désormais,  rien ne sera plus comme avant.

Plus que partout ailleurs, la "Grande Guerre" a laissé une traînée sanglante : ceux qui en reviennent, blessés à vie et impotents, se révèlent incapables de remplacer les bras absents. Ce sont les femmes et les enfants qui assureront l'existence de la communauté.

Dans les années qui suivent, la plupart des jeunes trouveront meilleur compte à s'expatrier, lorsque chance leur sera donnée de trouver un emploi sur le Continent, ou ils s'engageront dans l'Armée...

Les terres peu à peu abandonnées au maquis, les hameaux désertés s'endormiront alors lentement...

Bergerie di a Manica (Forêt d'Ascu)

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